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Paysages urbains insolites
Ou : de l'art séquentiel à la planche unique

Nous ne dirons pas que Mauro Frascotti, enfant, est tombé dans un pot de peinture. Mais presque. Son père Giovanni, fils d'un immigrant italien de Borgosesia (Piémont), avait réussi à créer une entreprise de peinture en bâtiment à La Chaux-de-Fonds. Mauro grandit donc au milieu des effluves de peinture au début de la rue du nord, dans ce quartier près de l'hôpital où « l'école de la rue » règne : les bandes de gamins, à côté d'un parc interdit, y font les quatre cent coups. Pourtant, sa formation ne se fera pas dans la peinture mais dans un métier en rapport avec l'horlogerie, la gravure sur acier: un métier sérieux, précis et créatif.

Et c'est encore un autre monde qui l'accompagne dès sa petite enfance, celui de l'image. La projection de films fixes à l'école maternelle devait le marquer profondément . Cette première découverte de « l'art séquentiel » allait avoir des conséquences ! Le terme dit bien le double monde dans lequel Mauro va évoluer : l'image et son intégration dans une histoire, à la différence du monde des arts plastiques, où l'image se situe comme hors du temps – je peux la regarder pendant trois secondes ou trois heures. Il y a donc liberté et soumission. Ainsi, Mauro naviguera pendant vingt-cinq ans entre ces deux mondes. Dès sa première bande-dessinée en 1979, qu'il signe Maoro, il aime à s'éclater dans les mises en place des décors de ses images. Là, déjà, il échappe un peu à l'histoire. Il se fait plaisir, comme Cosey dans certaines de ses magnifiques pleines pages paysagères dans les aventures de Jonathan. Des planches de ce genre, il y en a dans la bande-dessinée Rumeurs du Caire (à découvrir sur son site internet : www.maoro.ch).

Au fond, l'on peut résumer l'évolution artistique de Maoro par cette envie grandissante de se consacrer à la planche unique, avec ou sans histoire(s), avec ou sans présence humaine.

Après « Rumeurs du Caire » en 2004, en effet, les images deviennent tableau et Maoro entre dans « visarte », l'organisation suisse des artistes peintres. Les « Maisons Art nouveau » (2005) et autres vues de maisons de La Chaux-de-Fonds, sa ville natale montrent une autre influence sans doute primordiale : le caractère si particulier de l'alignement des maisons de la ville ouvrière de son enfance !

En 2008, il vit un choc lors d'un séjour à la Cité internationale des arts à Paris. Ses vues de rues deviennent des vues de toits, réalisées à partir d'un point de vue de plus en plus élevé. Du plancher des hommes, il se tourne vers le « plancher des étoiles » et les humains vont disparaître de ses tableaux. Parallèlement, ses formats vont grandir. Et de beaucoup. C'est cette décision qui va le libérer du poids de sa position à mi-chemin entre illustration et art libre pour l'installer maintenant très clairement du côté des artistes peintres! Quand vous vous trouvez devant une composition monumentale de 4 mètre sur 3 - c'est le cas de « 12 tableaux pour une histoire » que Maoro expose en 2011 à l'exposition « Entrez libres ! » de visarte Neuchâtel - la question n'est effectivement plus tellement de savoir si ce monstre de tableau est illustratif mais plutôt quelle pourrait être la signification de ce grand paysage urbain où nous nous promenons sur les toits, sans aucune présence humaine à part nous, spectateurs. Pourtant, malgré le fait qu'il s'agit d'une seule et immense vue, le titre, lui, retient toujours un peu l'idée du séquentiel :12 tableaux pour une histoire. C'est une histoire racontée par l'intermédiaire des artefacts.

Dans ses dernières œuvres que j'ai pu observer dans son atelier chaux-de-fonnier ce printemps, cette notion a disparu. Une nouvelle et tout aussi monumentale composition des toits de Paris, rue Monge, (format 274 x315cm) se compose évidemment de plusieurs morceaux, six en tout, technique de l'aquarelle oblige, mais des séquences, il n'y en a plus. Il y a simplement la vérité individuelle de chacune des feuilles. Il est impressionnant de constater, à quel point, une seule des planches de la rangée supérieure de cette peinture montre tout un quartier par-dessus les toits de la rue avec, à l'arrière fond, la Tour de Montparnasse, la coupole de l'Eglise du Val de Grâce et la flèche de la Tour Eiffel qui pointent leur nez, alors que si vous prenez une des planches du bas, une seule cheminée s'y trouve représentée. Quel changement d'échelle de l'une à l'autre, quelle différence dans la façon de représenter les choses, aussi ! L'artiste adapte la touche à l'échelle de représentation. Il y a là beaucoup de métier et beaucoup d'expérience dans ce rapport du dessinateur et peintre au monde qui l'entoure, de près ou de loin.

La réalité de chaque partie de cette vue vous saute véritablement au visage! Dans ces grands formats, il y a jubilation de la couleur, jubilation de la surface, jubilation de la « belle peau ». Il semble y avoir effectivement un grand plaisir dans le faire. A la question, pourquoi il ne travaille pas avec l'huile ou l'acrylique qui permettrait plus facilement des corrections en cours de route, l'artiste répond : « J'ai besoin d'aller vite ».

Es-ce pour cette même raison, que Maoro laisse de côté complétememnt les figures alors que celles-ci n'ont pas de secret pour lui qui a fait le tour de la question dans ses bandes-dessinées ? Ou alors, ce serait pour ne pas devoir agrandir les figures à l'échelle de ses éléments architecturaux du premier plan ? Maoro, lui, dit simplement que la présence humaine, ici, dessert son propos. Ce qui est en tout cas vrai, c'est que les humains sont bien présents, mais de manière indirecte. Partout sur ses toitures, nous rencontrons des cheminées. Des cheminées éparses, des cheminées en nombre et en groupe, de véritables « congrégations de cheminées » comme dit l'artiste. Ces figures d'un genre particulier représentent chacune la vie d'une famille ou d'un locataire seul dans les appartements sis dans les maisons au-dessous.

D'une certaine façon, cela veut dire que je (l'artiste) ne veux pas me tenir sur les pavés et transmettre la vie des gens dans leur rue. Je m'en éloigne. Je m'isole. Je veux être seul. Là où seules les fumerolles, les odeurs et les bruits plus ou moins lointains témoignent du tohu-bohu urbain.

Silence, on peint !

Walter Tschopp

© Copyright 2021 Mauro Frascotti

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